« Il serait nocif que le PS ait tous les pouvoirs » nous effraie Guaino. En effet, « le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument » : Nicolas Sarkozy est bien placé pour le savoir, lui qui illustrait si bien cette maxime avec son poujadisme, ses courtisans, ses députés godillots et un parti antidémocratique.
Rassurons M. Guaino : La gauche n’aura pas tous les pouvoirs. L’Europe restera bien à droite. La BCE restera monétariste et poussera les réformes à la hache du marché du travail. Le Parlement européen, certes sans pouvoir de proposition, restera également à droite. La Commission, marginalisée totalement sous Sarkozy, pointera peut être un peu le bout de son nez mais restera à droite. Enfin, le Conseil Européen sera également de droite.
M. Guaino, rassurez-vous : vos amis conservateurs sont bien représentés au niveau Européen. François Hollande sera contraint par cet équilibre politique, et il en est conscient. Pour le camp europrogressiste, le scrutin européen de 2014 en est d’autant plus important pour réorienter le cours de l’Europe.
En revanche, M. Guaino, vous devriez plutôt être inquiet de votre propre camp, qui n’a plus de discours économique cohérent.
La social-démocratie européenne se réveille, dans les sondages en Allemagne, dans les urnes en France. Plus important, la social-démocratie européenne présente une réponse cohérente face à la crise. La réduction des déficits nationaux est actée, mais une relance par des investissements écologiques ou des infrastructures financées par une taxe sur les transactions financières et par des emprunts de la Banque européenne d’investissement est indispensable. La régulation financière devra être stricte pour éviter la prochaine crise. Surtout, l’intervention de la BCE sur la dette souveraine devra être plus massive pour casser la spéculation et donner du temps aux Etats pour se réformer.
Enfin, un rééquilibrage des balances commerciales entre les différents Etats est nécessaire, via une relance par les salaires dans les pays en situation d’excédent commercial, comme l’Allemagne. La déclaration commune entre le PS et le SPD de mi 2011 en est une preuve. Ce message social-démocrate a des soutiens au-delà de son camp traditionnel, puisque M. Monti est proche de cette ligne.
On peut considérer que cela est insuffisant. Certains à gauche, comme les économistes atterrés, prônent ainsi une intervention plus importante encore de la Banque Centrale Européenne ou une remise en cause de la liberté de circulation des marchandises et des capitaux entre l’Union Européenne et le reste du monde. On peut critiquer la position sociale-démocrate pour son manque d’ambition, mais nullement pour son incohérence.
De même, à droite, les partisans d’une sortie vers des monnaies nationales ont une cohérence. Le retour aux monnaies nationales permet la monétisation des dettes publiques et la dévaluation. La monétisation des dettes publiques serait un outil pour résoudre la crise de la dette, tandis que la dévaluation permettrait, en partie, la résolution des problèmes de compétitivité. Cette politique présente deux défauts majeurs. D’une part, elle n’intègre pas le besoin d’Europe pour faire face aux défis futurs qui nous attendent. D’autre part, elle présente des risques fondamentaux lors de sa mise en place entre des économies totalement interdépendantes, risques qui peuvent mettre en cause sa faisabilité. Ces politiques sont donc, risquées, à très courte vue, mais cohérentes.
En revanche, le corpus idéologique de la droite raisonnant dans le cadre de l’Euro est, d’abord, foncièrement incohérent et, ensuite, absolument éloigné de la demande électorale de son propre camp. Pour savoir ce que nous promet la droite européenne, il suffit de lire ce qui a été dit par Merkel : il faudra une décennie pour sortir de la crise de la dette. La droite n’a qu’une réponse à la crise : la rigueur pour les dix ans qui viennent.
Cela est-il exagéré ? que nenni…
L’Allemagne a fait sa cure de rigueur (réforme du marché du travail et stabilisation du coût du travail), pendant que les autres Etats s’endettaient. Ces autres Etats ont ainsi pris le relais de l’absence de croissance de demande intérieure en Allemagne. A l’arrivée, l’excédent commercial allemand est de 150 Mds€. On peut également ajouter que l’Allemagne s’est affranchie du pacte de stabilité et de croissance : même elle n’a pas respecté le fameux seuil de 3% de déficit public !
Mais la crise européenne est passé par là : les banques doivent se désendetter et prêtent moins. En Espagne, en France, ce sont des banques qui sont en situation de quasi-faillite (Dexia, Bankia) Les ménages deviennent prudents ou contraints par une moindre hausse de leur revenu, quand ils ne sont pas étranglés par des crédits immobiliers élevés et des appartements qui ont perdu de la valeur. Les Etats doivent respecter une règle d’or ce qui aura un effet déprimant sur l’activité et, pire, sont dépendants des marchés financiers pour se financer à taux d’intérêts élevés. Les entreprises sont plus en période de licenciements que d’embauches. Si l’Europe n’intervient pas, il n’y a donc aucun levier de croissance. Les difficultés vont donc bien durer 10 ans.
Les investissements sont les premières dépenses à être rognées : en Espagne, les investissements publics ont été réduits de 40% depuis 2008. Réduire les dépenses d’investissements, c’est l’inverse d’une politique qui prépare l’avenir.
La seule possibilité de croissance vient alors des réformes structurelles : pour le patron de la BCE, la croissance passe par « flexibilité, mobilité, équité », c’est-à-dire libéralisation du marché du travail avec la fin des emplois à vie, un contrat unique, la simplification des licenciements.
Au point de vue économique, de telles réformes ne peuvent produire leurs effets qu’à long terme, lorsqu’elles sont efficaces. Selon Pierre-Olivier Beffy, économiste en chef chez Exane BNP Paribas, « en période de faible activité, l’OCDE a montré qu’il n’y avait pas d’effet positif des réformes structurelles du marché du travail avant au moins cinq ans » (6). De plus, de telles réformes ont un impact récessif sur les salaires et limitent d’autant la demande intérieure. Les « ein euro Job » en Allemagne ont contribué à l’absence de progression de la demande intérieure. Les réformes structurelles de la droite ne seront qu’un pis-aller en termes d’effets sur la croissance.
Au point de vue politique, on voit déjà l’impasse de chemin proposé par la droite avec une explosion des partis populistes de droite. La Grèce est en crise politique avec un parti nazi qui fait 7% et un gouvernement introuvable. En France, les partis qui rejettent les traités européens font un tiers des voix, dont presque 20% sur la droite. Le score du candidat de droite s’en est trouvé réduit. Toujours en France, c’est Sarkozy qui observe qu’il ne gagne pas un point dans les sondages lorsqu’il fait campagne sur des réformes économiques, comme la TVA sociale. La CDU perd du terrain, élections après élections. Le Parti pirate, parti sans avis sur rien fait 8% des voix. En Italie, c’est un comique qui fait 12% de voix sur un programme de sortie de l’Euro.
Il y a pire pour la droite européenne. Les réformes, souhaitables selon elle, ne pourront pas être mises en place. En effet, il est très difficile, sinon impossible, de libéraliser et de revenir sur des acquis sociaux, lorsqu’il n’y a aucune perspective. M. Monti réforme dans la droite ligne des préconisations de la droite européenne, mais commence à perdre le soutien de son opinion : chaque réforme supplémentaire sera plus difficile à mettre en œuvre. L’échec de Hollande sur une réorientation de l’Europe lui ferait perdre toute marge de manœuvre économique le condamnant à ce que la Gauche du PS lui promettait : faire du « Hollandréou », être le socialiste qui sera obligé de pratiquer une politique de rigueur absolue. Mais, cela lui fera perdre, également, toute crédibilité pour réformer par la suite. S’il modifie le cours de l’Europe, François Hollande sera considéré comme crédible et sérieux et les négociations avec les syndicats sur les retraites pourraient se faire correctement. Echouer sur l’Europe, c’est être un mou ou un mauvais négociateur : les manifestants se déchaîneront contre toutes réformes sociales. En Grèce, ce sont des réformes structurelles imposés par le mémorandum qui sont faites à la hache, au lieu de laisser un peu de temps à la Grèce pour les mettre en œuvre. Cela conduit à un profond ressentiment contre l’Europe.
En définitive, la droite européenne pose des cadres politiques et économiques qui empêchent les réformes qu’elle préconise en théorie. Au niveau politique, le discours de la droite européenne ne répond nullement aux interrogations des électeurs de la droite populiste. La concurrence restera donc très forte avec des partis populistes de droite. Sur l’économie, la droite européenne promet une absence de croissance pour les 10 ans qui viennent, sans préparer l’avenir puisque tout investissement sera bloqué par la politique d’austérité et par l’endettement accumulé des acteurs privés.
« Fin de la croissance, impossibilité de mener à bien les réformes structurelles, droites populistes très fortes », est-ce là votre programme pour l’Europe ? Soyons sérieux, aucun homme politique de droite ne peut être en phase avec cette promesse d’Europe là.
Alors, M. Guaino, je vous le demande : A droite, quelle est, vraiment, votre discours Européen ? Celui de Sarkozy qui disait que tout avait été résolu lorsqu’il était SuperPrésidentduMonde ? Celui de Merkel qui dit « Nein » à toute modification à court terme et qui promet 10 ans de rigueur ? Ou celui d’un centre droit républicain, à l’image de M. Monti, qui demande de l’air pour faire ses réformes, et soutient les combats de François Hollande ?
C’est le vide intellectuel qui est le vôtre sur l’Europe devrait vous effrayer et non le fait de donner à M. Hollande les moyens d’appliquer sa politique au niveau national !
Ben sur Sauvons l'Europe